Les italiens, et plus que tous, les vénitiens ont depuis longtemps la passion de la musique. Au 18e siècle cet art est chez lui à Venise. Il y règne, il y foisonne dans une création multiple et abondante. Il se vit intensément.
Les traditions musicales vénitiennes sont déjà profondément implantées jusque dans le courant de la vie quotidienne, à croire qu’elles l’ont toujours été.
On peut citer Andréa Gabrieli (1515-1586) organiste à la Basilique Saint Marc, novateur dans le domaine de la polyphonie vocale, dans la richesse de l’orchestration, dans l’usage des violons et des cuivres. Il fut un des maîtres incontestés de la musique vénitienne du 16e siècle.
On doit sutout citer Claudio Monteverdi (1567-1653) maître de chapelle à Saint Marc, à compter de 1613 et jusqu’à sa mort, qu’on surnomma « divino » parce qu’il fut, très tôt maître dans l’art de la composition, dans l’expression lyrique où l’instrument se mêle à la voix.
Son premier opéra Orfeo (1607) est l’un des plus grands événements de l’histoire de la musique, annonçant l’opéra moderne.
La série des maîtres, alors, n’a cessé de croître, au point qu’au 18e siècle, Venise avec ses quatre conservatoires, avec ses sept théâtres et sa première salle d’opéra est un des très importants centres de musique vocale et la patrie de l’instrument divin qu’est le violon.
Les meilleurs maîtres assurent l’enseignement. L’éminent claveciniste Domenico Scarlatti (1685-1757) lié d’amitié avec l’allemand Georg Haendel, tous deux compositeurs de centaines de sonates, cantates, motets, opéras, viennent y produire leurs oeuvres, ainsi que Christoph Gluck (1714-1787) compositeur allemand qui se familiarisa avec les formes de l’opéra italien.
Antonio Vivaldi
Le compositeur et instrumentiste virtuose Antonio Vivaldi (1678-1741) fils d’un violoniste réputé, est dénommé « le prêtre roux ». Il n’exerce pas son ministère étant de santé fragile. Il est nommé maître de violon, puis maître de composition et enfin maître de chapelle au séminaire musical de l’Ospedale della Pieta.
Il y est resté pendant quarante ans, dans un milieu d’intense activité musicale. Chef d’orchestre, imprésario, metteur en scène de ses propres opéras, il effectue de nombreuses tournées dans les grandes villes européennes et connaît une grande gloire. Retiré à Vienne, il meurt dans l’oubli.
C’est après 1850 que les travaux de recherche sur les oeuvres de J.S.Bach, lui-même alors oublié, permirent de remettre à jour l’oeuvre intégrale de Vivaldi et de comprendre l’influence considérable de ce virtuose sur les plus importants musiciens de son temps et ceux de la génération suivante : Albinoni, Galuppi, Veracini, Hasse et bien sûr Haendel.
Il a laissé plus de 470 concertos et symphonies, 45 opéras, plus de 100 cantates, arias et sérénades.
Après 1930, il est devenu un des musiciens les plus joués dans le monde. L’exemple à citer concerne l’ensemble des douze concertos pour violon « Il cimento dell’armonia e dell’inventione » qui comprend la très célèbre suite des « quatre saisons ».
Baldassare Galuppi
C’est aussi un génie de la musique, claveciniste brillant, maître de chapelle à Saint Marc, né et mort à Venise (1706-1783) directeur de conservatoire aux Incurables.
Les églises et les théâtres s’adressent à lui pour se doter d’interprètes de valeur. Il participe par son écriture à la création des premiers opéras-bouffe exquis. En cinquante ans il en créera 70, ainsi que des motets, des messes et autres oeuvres religieuses.
L’Europe s’éprend de son art et le couvre d’or. La musique est devenue une passion pour ce peuple épris d’harmonie, de bon goût et de plaisir.
Une musique omniprésente
Les académies de musique sont constantes. Elles ont lieu tous les soirs, dans toutes les couches sociales, bourgeoises et aristocrates. On chante des symphonies, des barcarolles à plusieurs voix, on installe partout les lutrins, les pupitres, on déchiffre des oeuvres manuscrites. Le public écoute religieusement.
Dans les églises, aux festivités religieuses, aux processions, la musique est présente et réunit les participants dans une solennité fraternelle. Les messes sont chantées en choeur.
On se rend en foule à vêpres dans les quatre hôpitaux : la Pieta, les Mendicati, les Incurables et l’Hospedaletto qui sont devenus des conservatoires de musique où l’on apprend aux jeunes orphelines la musique la plus exquise.
La clôture du couvent à laquelle elles sont soumises n’est pas contraignante. La protection et l’intérêt des aristocrates mélomanes et mécènes, sensibles à leur grâce juvénile leur est aisément acquise.
Elles se produisent dans les palais à l’occasion du passage d’un hôte illustre. Elles chantent, elles jouent de la flûte, du haubois, du violon, du violoncelle.
Leurs voix de qualité émeuvent Johann Goethe, Jean-Jacques Rousseau qui clament le goût délicieux de leurs prestations, la suavité céleste qui les fait comparer à des anges.
Les prénoms des jeunes orphelines sont sur toutes les lèvres.
Tous les théâtres sont fréquentés à plein. Le peuple vénitien est insatiable de nouveautés. Les modes, les styles se succèdent plaisamment, à un rythme rapide.
C’est à Venise que naissent les oeuvres les plus belles de ce siècle musical : l’Agrippine de Haendel, l’Hypermestra de Gluck, l’Ataserse de Hasse, la Griselda de Puccinni.
C’est là que brillent les plus grands chanteurs et cantatrices, Safarelli, Farinelli, la Cuzzoni, la Grassini, la Faustina épouse du fécond compositeur et chanteur Johan Hasse, auteur de 70 opéras et de nombreuses oeuvres religieuses et profanes.
La musique est partout, baigne tout. On vit, on prie, on pleure, on aime en musique.
On chante à toute occasion, dans les rues en travaillant en servant le client, aux fenêtres, sur les gondoles.
Les concerts imprévus sont donnés en plein vent sur les campi, sur la Piazza. L’affolement pour cet art est ardent et prodigieux.
La musique règne, dans la lumière du jour, dans le crépuscule doré, dans la nuit douce …